Au fil des jours et des étoiles

Qu'est-ce que le chat-zèbre ?

Ce sont des installations d'objets dans l'espace public. Ces objets représentent des chats, des oiseaux, des animaux simples, le plus souvent avec beaucoup de couleurs et une image affirmant un témoignage de tendresse, ou plutôt d'affection. C'est une réaction antithétique forte à l'imagerie banale d'un certain type de graffiti, qui véhicule régulièrement et au contraire, un message de révolte et de violence. Sans réfuter l'autre côté, si l'un des aspects est la nuit, l'autre est le jour, chacun est nécessaire. C'est aussi un projet artistique sans prétention aucune. C'est très simple et tout petit.

Pourquoi le nom du chat-zèbre ?

Il est vrai que les chats actuels ne sont pas des métisses avec les zèbres. Tout cela provient d'une époque reculée. Dans la ville, nous dessinions des centaines (des milliers ?) de chats à la craie, sur les murs. Le but était surtout de viser des installations publiques, et peu ou pas les murs privés. Pour cause bien compréhensible, nous voulions ne pas déranger. Ces chats étaient un motif simple, zébré de rayures sur tout le corps. Ils étaient dessinés sur les poteaux électriques, les transformateurs, les parkings. Pourquoi... ? Allez savoir... Quoi qu'il en soit, ces chats en grand nombre étaient tracés lors d'attaques extra-terrestres. Le lendemain, la ville se réveillait groggy d'une fête silencieuse et blanchâtre. Il y avait une quantité extraordinaire de chats, un peu partout. Et puis, la première pluie effaçait tout. Les chats les plus jeunes restaient quelque chose comme une heure, avant d'être effacés d'un coup d'éponge. Les chats les plus vieux ont vécu 10 ans. Peut-être même plus. Je pense pouvoir affirmer qu'il en reste un, il aurait alors 15 ans. Le nom provient donc de cette époque, parce qu'il est doux de se remémorer les invasions.

 
Les murs ne sont pas utilisés directement apparemment ?

Oui, effectivement. Il y a toujours un intermédiaire. Il s'agit de carrelage, de pierres, de bois, d'objets bizarres pour les monstres. L'absolue totalité de ces matériaux provient de récupération. Tant de choses sont jetées, alors qu'elles peuvent être valorisées. Tout le monde y est gagnant. Ça coute moins cher, ça remet dans un circuit des objets, ça décharge les poubelles. Et puis, ça permet des originalités de formes, les pierres sont parfois agréables, voire même un peu luxueuses.

Il y a aussi que le tag peut, parfois, être la répétition infinie du même logo. Si je veux témoigner d'une certaine forme d'amour, il faut que ça soit varié, sinon lassitude... De ce fait, il faut une diversité de sujets, de formes, de mises en place...

Les gens réagissent ?

Oui. Formellement, ils le font peu. Courriers ou emails sont rares. Par contre, au moment des installations, il y a des réactions. Les enfants, surtout. Ils apprécient beaucoup. Il faut dire que ça leur est principalement destiné, bien que ça soit installé dans toutes sortes d'espaces publics. Certains groupes de personnes y voient par contre un bon objet à vandaliser. C'est évidemment dommage, mais c'est la vie de la rue, et la rue c'est dur. C'est en ce sens aussi qu'il est important de témoigner, c'est faire face, c'est résister. En installant une girafe-mesureuse, un enfant m'a dit : moi je me mesure tous les jours, et je ne grandis pas...

Les dessins sont très simples dans leur constitution, ce ne sont pas des œuvres d'art de Rubens, Millet ou Courbet. Mais par contre, elles portent en elle un témoignage d'amour, qui est franc, presque brutal. C'est une intense affirmation comme quoi il est urgent de vivre, de ne plus regarder la télévision, de sortir, se parler, c'est une marque profonde : vivre, vivre autant que c'est possible, et donner. Notre société est toute entière basée sur un système d'échange : je souhaite ceci, donc je paye autant, j'ai fait ça et en échange, je suis redevable à la société d'autant (amende, prison). Le collage d'installation est justement une antithèse, c'est un don.

C'est pour ça que ce n'est pas signé ?

Oui. Ça a d'ailleurs valu une réaction violente, que je n'ai toujours pas intégrée. Je n'ai pas compris, en fait. Il m'a été dit que d'être anonyme, c'est lâche. Oui, ce n'est pas signé, parce que l'art conçu n'est pas une revendication. Ce n'est pas un témoignage pour dire : admirez-moi. Ce n'est pas une signature pour dire : je construis quelque chose et j'en suis l'auteur. Je ne suis auteur de rien d'autre que le bétonnage de l'objet dans la rue. D'ailleurs, ce n'est pas de l'art, c'est un témoignage d'amour.

Un altruisme envers les gens ?

Difficile à dire, car dans le fond, il n'y a pas, en ce projet comme ailleurs, un humanisme exacerbé. Il faut rester simple. Les bétonnages ne changent la vie de personne. Ils sont par contre un élément discret mais participatif à l'embellissement. Un tag, c'est moche, combien de fois l'ai-je entendu... Certains artistes recherchent cela, salir la ville, le plus possible, en réaction à une forme d'agression urbaine ; je comprends cette manière de vivre la ville, une compréhension qui n'est pas pour autant une acceptation, dans le fond nous ne sommes pas différents, c'est une expression. Mon projet est fragile et difficile à mener.

Une admiration envers certains artistes ?

Comme beaucoup de monde, j'ai de l'admiration pour Roa, qui développe des animaux immenses avec précision et sans fautes de perspectives. Il est difficile de tracer de manière géante sans avoir une vue globale de l'ensemble. Je n'ai pas d'admiration pour Space Invader, sa description artistique ne me touche pas, ça n'exprime pas une vibration en moi. Par contre, il représente une tête de file en matière d'installation, parce qu'il est partout dans le monde. Jérôme Mesnager aussi, avec son corps blanc. En fait, beaucoup de monde, Oli-B, C215, Maniac, Phlegm...

J'ai une admiration pour Oakoak, car son travail est terriblement imaginatif. Il détourne l'espace public ou privé. C'est à chaque fois minuscule, simple et je dirais presque enfantin. Cependant, il fallait y penser et c'est cette vision qui est formidable. Il voit, et à cet instant de révélation, l'objet banal et insipide devient un amusement. Ça doit être entrainant, chaque jour, d'habiter dans son secteur d'activité. Je dirais que de son côté, il doit être quelque part un peu angoissant de se dire : un jour, je ne vais plus trouver de renouvellement, tout sera déjà fait... Mais il trouve ! Qu'il continue, surtout...

Apolline, la déesse des dentistes et de la roulette russe. C'est vraiment parce qu'il faut un dieu pour tout...

Ces installations, c'est illégal ?

Tout dépend de où et quand et comment. Rien ne s'oppose à considérer cela comme une utilisation privative d'un espace public. Donc, plutôt oui. Toutefois, un tag demande de la peine pour être enlevé. Les installations elles s'enlèvent sans dégâts. Il faut taper au marteau dessus, bien en face. Tout éclate alors en petits morceaux sans laisser d'empreinte sur le mur.

Des pièces disparaissent alors ?

Oui, clairement. Certaines sont emportées par des enfants, certaines sont détruites par haine. Il n'y a eu qu'un seul cas où la pièce était gênante. C'est une question de mauvaise appréciation de ma part. Il faut voir aussi que je détruis certaines pièces. Je le redis, la rue, c'est dur ! Certains objets souffrent des affres du climat. Quand j'estime qu'elle est passée, je la détruis. C'est au bout de 6 mois, un an, ou pourquoi pas plus... Mais certainement, c'est un art éphémère. Enfin un art... Disons un témoignage qui doit être sans cesse renouvelé.

Sauf le vandalisme, la disparition d'une pièce ne me touche pas. Le vandalisme me choque par sa violence gratuite. Après, qu'une pièce soit emportée, j'espère simplement que la personne en profitera ! Quand c'est bétonné, ça ne m'appartient plus, c'est un espace public, ça appartient à tout le monde.

Pourquoi avoir choisi la rue ?

Il faut parler aux gens là où ils sont. Les musées se meurent parce qu'il faut y aller, aussi parce qu'internet offre tout. Je ne peux pas prétendre offrir s'il faut pour cela obliger les gens à se rendre quelque part.

Arrêté et jugé, que se passerait-il pour ton art ?

Bonom est jugé. Il est difficile de savoir quel arrêt a été rendu. Ce qui est certain, c'est que Bonom a été loin dans son expression, occupant des façades très visibles sur des mètres et des mètres de hauteur. C'est dans une certaine vue de l'acte, contestable. Il impose une vision difficilement effaçable, d'autant plus qu'il faut des échafaudages pour envisager un retrait.

Jugé... Les gens ont l'habitude de dire : oui mais pourquoi moi pour ça, alors que les autres n'ont rien. C'est une grossière manière de ne pas assumer. Au juge, je poserai la question : en quoi mon témoignage est-il nuisible à la société ? Je questionnerais sur du fond. Oui, je bétonne sur ce qui ne m'appartient pas, puisque l'espace public est à la fois à tout le monde et personne. Je poserai la même question et sous une autre forme : à qui fais-je du mal ? S'il m'est prouvé que je fais du mal à autrui, alors j'arrêterai et même, j'enlèverai mes pièces. Ma croyance actuelle est que je ne fais pas de mal, et d'ailleurs j'espère bien du contraire.

Il faut aussi dire, et c'est important, que ce n'est pas grand chose. C'est un petit témoignage, c'est mineur. La moitié des pièces disparaissent, par an, c'est et ce sera toujours une diction éphémère.

Des projets pour l'avenir ?


Vivre. C'est déjà beaucoup en fait.
La réalisation des pièces est une effervescence, un bouillonnement permanent. Si je peux, en plus des installations, donner beaucoup à des gens, des inconnus, ça sera un bonheur supplémentaire. Assez curieusement, ce sont les monstres qui plaisent le plus. Je crois que d'un certain côté, c'est parce que ça se rapproche d'un aspect cartoon. Ces monstres ont un certain air d'agressivité avec leurs grandes dents, c'est disons... la forme des objets qui me fait développer ça. En attendant, ce sont toujours des dieux sympas, affublés de fonctions éminemment stupides. Le dieu des roulettes de dentistes, un dieu sympa, hum... Et le dieu des Viscéroconques ! Ça se termine toujours par : c'est vraiment parce qu'il faut bien un dieu pour tout ! Disons que je crois qu'il faut ne pas se faire influencer par ce que les gens aiment, mais rester honnête dans sa description artistique ; le but lui ne changera certainement jamais, même si la forme des objets est variable...


Panneau récupéré dans une poubelle, qui sera ensuite utilisé en procession !